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Photo du rédacteurJérôme Erulin

D’ACHILLE A DE GAULLE : SAUVER L’IMAGE DES BRISEURS D’ALLIANCE

Rompre ou suspendre une alliance est une décision complexe et marquante dont la communication est délicate. Les enjeux d’image sont déterminants : loyauté égoïste, nationale, ou à la parole donnée ? Comme pour toute décision sensible, pour être maitrisée, la stratégie de communication se prépare en même temps que l’action et loin de la « colère » qui en accompagne l’annonce.


ὃς μέγα πᾶσιν ἕρκος Ἀχαιοῖσιν πέλεται πολέμοιο κακοῖο.»

« Les Achéens n’ont pas de plus ferme rempart contre la guerre cruelle » (L’Illiade chant I - 283/284)


Ainsi parle Nestor, le doyen des Grecs, à Agamemnon, leur leader, quand celui-ci humilie Achille, leur « rempart ». Le résultat, si on en croit Homère, est de faire quitter le combat à ce dernier pour « bouder » avec ses troupes sur la plage, auprès de ses nefs. C’est un tournant dans la Guerre de Troie, une belle leçon de communication stratégique des deux côtés.


Achille est le plus valeureux combattant du camp grec, toujours victorieux, personne ne lui résiste. Ce n’est pas un hasard si, après un désaveu divin, Agamemnon, s’en prend à lui : il s’agit de réaffirmer son autorité sur les 27 autres roitelets qui le suivent dans l’aventure troyenne. Achille, fidèle à son honneur plus qu’à ce suzerain de circonstance, est retenu par Athéna de le tuer mais se retire des batailles et du « commandement intégré » de l’époque. Prenant pourtant garde de ne pas le décrédibiliser, il rend posément la captive objet du litige et garde le respect de tous.


Lorsque le 7 mars 1966 le Général De Gaulle écrit à son homologue américain Lyndon B. Johnson : La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, (…) de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN. » il ne fait rien d’autre, au nom de la France. Sa conception de l’honneur du pays inclut sa souveraineté et sa liberté d’action. Or celles-ci sont bafouées, d’abord par la présence sur son sol de 29 bases alliées (dont le QG principal : le SHAPE), mais surtout par le « commandement intégré ». Ce dernier place les armées européennes aux ordres de QG « interalliés » dirigés par des généraux américains et pourrait décider d’installer des armes nucléaires US sur notre sol.


Les motivations individuelles des héros antiques, font ici place à des motivations collectives : « une certaine conception » de l’intérêt supérieur de l’Etat.


Comme pour Achille, le retrait est pacifique et la crédibilité de l’OTAN n’est pas remise en cause en cette période de guerre froide. Par la suite notre loyauté à l’Alliance sera mainte fois démontrée. Néanmoins, en 1966, 100 000 militaires installés en France quittent son territoire, ce qui n’est pas sans conséquences économiques et stratégiques : pièce maîtresse du dispositif allié sur le continent, la France parait jouer un jeu perdant-perdant.


Et la Communication dans tout cela ?


Les enjeux de communication sont déterminants dans une telle démarche de rupture. Comment éviter un retour de boomerang démesuré pour les deux parties si la crise provoquée par ce départ prend de l’ampleur ?


Traîtrise, ingratitude, irresponsabilité, la perception du « lâcheur » par ses ex-alliés est forcément négative. Son absence en première ligne pèse, surtout si l’Alliance est en difficulté. Celle d’Achille enhardit ses ennemis troyens et coûte la vie à de nombreux « cousins » grecs.


C’est une décision grave car sa présence compte… mais c’est peut-être justement ce qu’il cherche à prouver ?


Quand la France s’éloigne du commandement intégré de l’OTAN, cette dernière perd le contrôle d’une part majeure de ses moyens continentaux de contre-offensive alors que les chars Russes sont à 250 km de Strasbourg. S’y ajoute l’aventure dans laquelle la France peut entraîner le camp libéral avec sa mini-force nucléaire naissante. La rupture de contrat provoque chez nos amis une amertume aussi vive qu’en 2003 quand la France se désolidarise brutalement de son grand allié partant guerroyer en Irak. Elle ne sera pas la seule, mais c’est sur elle que tombera l’opprobre, car sa présence compte.


Est-ce là aussi ce qu’elle cherche à (se) prouver ?


Les enjeux d’image valent pour le leader de la coalition ainsi délaissée. Touché dans son leadership, il devra démontrer le désintéressement de ses décisions, les risques pris par ce principal rival interne défaillant, la capacité du groupe restant à continuer le combat ainsi. De surcroit, il doit ouvrir la porte à l'éventuel retour...


Une stratégie de communication qui préserve l’image et ménage l’avenir


Seule la cohérence d’une stratégie de communication lisible et globale permet de sortir avec le minimum de séquelles d’une telle situation et même d'en tirer parti.


Achille est crédible car, acteur majeur des précédents affrontements, conquérant de plusieurs villes, il n’a rien à prouver. Son attitude générale parle pour lui et, même si ses colères sont redoutées, il est cohérent avec son discours basé sur l’honneur et le courage personnel. Il cesse de s’exprimer et laisse les autres parler pour lui.


Agamemnon doit se justifier face aux autres alliés d’avoir provoqué la mise en retrait de leur héros. Sa partie est délicate car il a démontré la cupidité personnelle qu’il a reproché à Achille. Pour le faire oublier, il décuple d’énergie pour insuffler l’esprit guerrier à ceux qui lui sont restés fidèles et susciter habilement chez eux l’envie de mériter la place laissée libre et les honneurs associés. En externe comme en interne son message est : « ça ne change rien»… jusqu’à preuve du contraire.


Malgré les inquiétudes de François Mitterrand et de la gauche de l’époque, qui critiquent cette volonté de faire cavalier seul, De Gaulle, lui, regonfle de fierté les Français avec des messages sur la souveraineté préservée et l’autonomie de décision. Il reste en parfaite cohérence avec ses actes et discours tenus sans discontinuer depuis qu’il avait pris la tête de la France Libre. Sa ligne est toujours suivie.


Des attitudes à bien considérer avant d’envisager la rupture d’une alliance (ou d’un partenariat) : tout l’art est d’en faire un levier de communication positive.


Qu’en pensez-vous ?


Homère Ullain

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