Homère serait-il aujourd’hui un troubadour-rappeur, un reporter de guerre, un historien ou … un communicant-blogueur ?
« Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος οὐλομένην, » ,
« Chante déesse la colère d’Achille, le fils de Pélée ».
Ainsi commence le premier chant de l’Illiade, récit fondateur et mythiques de l’Occident guerrier. Homère l’aède aveugle du VIIIème siècle avant JC, sans doute le plus ancien storyteller populaire de notre civilisation, livre en 15 683 vers hexamétriques un bouquet où se mêlent pure poésie, fracas des armes, des âmes et des chairs meurtries, aussi bien qu’analyses tactiques et leçons d’humanité ou de politique.
L’angle cru, surabondant, narratif des épisodes de batailles « homériques » fait parfois penser au mode d’expression de certains rappeurs, témoins de leur environnement social et se portant juges des motivations, brutalités et paradoxes de leur monde. Leurs textes serrés, murmurés au mot près par tous leurs fans, va droit au cœur et impacte les perceptions de ces derniers avec la puissance des troubadours du moyen-âge. Il est pourtant permis de douter que l’un d’entre eux sera encore écouté dans 28 siècles.
Homère n’est pas des leurs.
Histoire ou fiction
Certes, la valeur historique des chants d’Homère est questionnable, d’autant qu’il ne s’intéresse qu’à quelques épisodes du conflit iliaque. Celui du Cheval de Troie, par exemple n’en fait curieusement pas partie, il apparaitra ailleurs pour compléter la légende. Entre les incessantes interventions divines, les prétendues sources du conflit ou les incohérences chronologiques, la rigueur scientifique n’est pas le gouvernail d’un auteur qui rapporte des événements épiques se déroulant plus de trois siècles auparavant. Ces événements sont-ils fictifs, réels ou plus probablement romancés à partir de faits mineurs ? Il faut parcourir de nombreux autres narrateurs et historiens pour en savoir plus et constater que la question demeure : la Guerre de Troie a-t-elle eu lieu ?
La précision des descriptions des combats, des armes et tenues, des rites et pratiques guerrières sont néanmoins précieuses pour les spécialistes de l’antiquité. Ces derniers leur accordent notamment un rôle éducatif pour ses contemporains. Dédiés non seulement à la distraction mais aussi à la circulation de l’information, les aèdes, sortes de poètes itinérants très respectés, constituaient un lien entre les peuplades et contribuaient fortement à l’édification et au partage d’une culture commune. Seul « média » de son temps, l’aède est un peu comme un Internet de l’antiquité… qui glorifierait aussi des modèles clairement idéalisés.
Pour autant, non, Homère n’est pas un historien.
Un reportage sur l'Overlord de l’antiquité
De même la description détaillée des deux coalitions, objet de toute la seconde moitié du chant II, donne-t-elle des indications d’une précision incroyable sur l’organisation antique des communautés autour de la Méditerranée. Homère en dénombre 45. D’abord 29 alliés Grecs, dont les guerriers sont arrivés sur les plages à bord de 1186 nefs mais également 16 du côté Troyen pour défendre la ville côtière. Ces derniers furent sans doute acheminés par voie terrestre vers cette forteresse d’Anatolie, située là où aujourd’hui la Turquie fait face à la Grèce par-delà la mer Egée. Sur l’autre rive, à moins de 200 miles marins, se trouve Salonique qui marqua aussi l’histoire des débarquements militaires massifs.
Un vrai reporter de guerre aurait pris le temps de détailler l’opération amphibie avec des effectifs comparables à ceux d’Overlord lors de la Seconde Guerre mondiale et des ambitions stratégiques proches, justement, de celles du débarquement de Salonique lors de la Première. La logistique formidable d’une telle expédition, apothéose d’un conflit de dix ans, mobilisant loin de chez eux des dizaines de milliers d’hommes aurait mérité à elle seule une description passionnante.
Mais, non : Homère n’est pas un reporter !
Premier de cordée des communicants
Aujourd’hui, Homère serait-il alors un communicant-blogueur tenté par le rôle d’influenceur ? S’appuyant sur ses connaissances historiques, nourri des mœurs et des paradoxes de son époque, il s’époumone gracieusement à faire passer l’idée que, ayant l’oreille des Dieux et des rois et inspiré par eux comme leur porte-parole, son chant et ses vers font autorité dans le champ des perceptions.
Homère cumule les rôles de journaliste/chroniqueur, parle comme un reporter (à distance), prétend retracer l’Histoire et en profite pour faire la pédagogie des coutumes de son monde: un monde violent très différent du monde actuel, où, comme l’écrit Eva Cantarella, «la collaboration, la piété et la justice n’avaient pas encore fait leur apparition »[1] ; un monde de valeurs dures, courage personnel, honneur, vengeance, « belle mort », qui s'oppose au monde doux de la communication contemporaine imprégnée de consensus, d’inclusion, de partage.
Influenceur ? certainement puisque des milliers d’artistes dans tous les registres s’en sont inspiré (et continuent).
Communicant ? C’est une question de définition, mais, si c’est le cas, il place la barre très haut.
Quel lien alors entre Homère et la communication d’aujourd’hui?
C’est l’objet de ce blog, ouvert sur demande à des contributions qui en respectent l’esprit[2]. Il y sera question de la pérennité des échanges humains comme des constats d’une évolution radicale perçue comme positive ou négative. Nous pourrons évoquer les messages des leaders pour faire gagner leur camp : chez qui parmi nos contemporains peut-on retrouver la conviction d’Hector chef des Troyens ou l’emportement salutaire d’Achille, le héros tragique des Grecs ? L’Odyssée nous ouvre les portes de la vision maritime et de l’esprit d’équipe, l’Illiade nous parle de stratégie défensive ou offensive. Les érudits seront bienvenus pour éclairer les points dont nos raccourcis masqueraient la dimension réelle.
La ruse ou la transparence, le charisme du chef ou la gestion des alliances, la réaction à l’imprévu, la force des discours, les éléments de langage, autant de leviers de communication sur lesquels un pont temporel de trente siècles va nous aider à prendre le recul qui s’impose.
A bientôt
Homère Ullain
[1] Eva Cantarella – Introduction à l’Odyssée – Les Belles Lettres 2017 [2] Propositions à adresser à jerome.erulin@homerestratcom.fr - format : 1000 mots max + une image ou vidéo de moins de 4 mn
Illustration: détail du tableau « Homère » ; Leloir, Jean-Baptiste Auguste, 1841 - RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Comentarios