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Photo du rédacteurJérôme Erulin

D'ATHENA A URSULA : LA GUERRE, C'EST FÉMININ ?

Jusqu’à un passé récent, les guerres étaient rarement portées par des personnalités féminines, hormis quelques exceptions comme Jeanne d’Arc ou Margaret Thatcher. La fin de la guerre froide a coïncidé avec l’avènement d’une mixité au moins dans la communication des conflits armés. Courageuses journalistes et communicantes nous ont habitués à dégenrer la guerre, mais les acteurs de terrain restaient majoritairement des hommes.


Depuis lors, l’augmentation continue du nombre de responsables et d’experts féminins dans les armées, (ministre, tireur d’élite, pilote de chasse…), engendre mécaniquement la banalisation de leur présence au premier plan des conflits.


Loin d’être nouveau, ce rééquilibrage renoue avec une tradition ancienne : dans l’Illiade, ce sont des femmes qui, déjà, tirent les ficelles et prennent le « storytelling » à leur compte.

« νῦν μὲν γὰρ Μενέλαος ἐνίκησεν σὺν Ἀθήνηι, »

« Si aujourd’hui Ménélas a vaincu, c’est grace à Athéné » (Hélène dans L’Illiade chant III -439)


La femme, stratège et victime de la guerre homérique


Si la condition féminine antique la conduit surtout à supporter les conséquences des guerres, elle est aussi à la manœuvre sous les murs de Troie. Certes Ares, le guerrier invincible, brutal et un peu ballot, est une divinité masculine, mais la véritable stratège de la guerre est l’irrésistible Athéna, déesse vierge, également pourvue de la sagesse. Elle « tient l'égide » avec laquelle elle peut lancer la foudre et le tonnerre. Avec une autre femme, sa belle-mère Héra, elle parvient à imposer sa stratégie[1] sur celle de Zeus lui-même, pour favoriser les Grecs, ses protégés.


La femme est surtout le témoin de l’absurdité du carnage condamnée soit à se réjouir de la victoire du camp de son époux soit à « subir un maitre étranger » ou à perdre « l’homme entre tous capable d’éloigner [d’elle] le jour de l’esclavage. »[2] Néanmoins elle n’imagine pas son époux déshonoré et le tance s’il mollit. La présence féminine n’est donc pas limitée à l’objet passif qui étoffe le butin du héros[3].


La féminité est ainsi présente aux deux extrémités de la chaîne des décisions et conséquences de la guerre. L’homme quant à lui, fasciné par la « gloire impérissable » de la mort au combat se soumet au code d’honneur. Cet outil apparemment inventé pour contrôler la population masculine, sert surtout à faire porter à sa famille le résultat de son courage. Il sait pour qui il combat et meurt, faute de toujours savoir pourquoi.


Quand l’idéologie se substitue à l’Olympe


Une des évolutions majeures de la guerre, depuis la Révolution française, est sa justification officielle : en communication, les déesses jalouses ont laissé la place à des idées, voire des idéologies. Bien que féminines de genre, la Liberté, l’Égalité, la Fraternité, par exemple, étaient portées depuis plus de deux siècles majoritairement par des hommes, au cœur de conflits toujours plus sanglants. A l’autre bout de la chaine, dans la douleur et le deuil, les femmes se consolaient parfois en obtenant des avancées sociales précieuses.


S’y ajoute désormais la plus récente, obtenue, elle, après une longue période de paix : le «droit» de prendre part à la guerre à tous les niveaux, du stratège jusqu’à la chair à canon. Aujourd’hui, les femmes ministre de la Défense ou chef d’Éta ne se comptent plus dans le monde. Si les généraux et amiraux féminins sont encore rares, la décennie en cours sera, en France, celle où la proportion de mixité à ce niveau rejoindra la moyenne des unités qu’elles commandent (10 à 20%).


On retrouve logiquement la même proportion de tuées, de blessées, de prisonnières et aussi, bien sûr, d’héroïnes et de chefs de guerre charismatiques. Au lieu des communicantes féminines ou des pionnières dans un domaine anciennement masculin, nous verrons de de plus en plus d'interviews de décideuses responsables de bombardements "sans effets collatéraux" et de cheffes de commandos aux visages floutés témoignant en langue de bois de leurs exploits meurtriers.


Déjà, la présidente de la commission Européenne, Ursula von der Leyen, mère de 7 enfants, se doit d’être crédible voire offensive dans la coordination du soutien militaire européen à l’Ukraine. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, une unité de Défense de conscrits de l’UE voyait le jour, il lui reviendrait d’assumer politiquement ses actions de combat en y envoyant potentiellement ses propres enfants.


Les émules d’Athéna en première ligne


Ainsi, de victime de la guerre parfois magnifiée pour son soutien au combattant ou sa résistance à l’envahisseur, la femme en devient actrice à part entière. Elle était une motivation profonde : le soldat mourrait pour la patrie, mais surtout pour préserver sa femme et ses enfants de la barbarie ou leur obtenir un avenir meilleur ; elle était également la dénonciatrice la plus légitime de l’absurdité des massacres. Elle a acquis le "droit" d'y être impliquée.


Désormais, en cas de mobilisation générale, ce « droit » de combattre se transformera en «devoir» et la proportion de femmes montera à 50% des effectifs. En cohérence avec une société qui repense le binôme protecteur/protégé, le gouvernement fixera de nouveaux critères indiscutables (volontariat, âge, utilité sociale, rôle économique…) pour différencier les combattants de ceux et celles « de l’arrière » pour lesquels ils seront prêt à mourir.


Les enjeux de communication opérationnelle seront clairement liés à l’acceptation populaire de la justesse de cette démarche. La crise sanitaire nous a montré la sensibilité de tels choix.


Ce rééquilibrage sera-t-il l’occasion de vérifier l’intuition antique qui donnait à la stratégie guerrière (comme à la victoire[4]), une nature féminine et l’associait à la sagesse ?


Homère Ullain



Notes [1] Certains rappelleront malicieusement que cette vision stratégique divine qui unit la belle-mère et la fille nait de la jalousie très humaine d’avoir vu le beau Pâris leur préférer Aphrodite [2] Échange (tonique) entre Hector et Andromaque, sa femme (Illiade Chant VI) [3] Pour apaiser Achille et le faire revenir parmi les combattants, Agamemnon lui propose, dans l’ordre : Sept trépieds, dix talents d’or, vingt bassins, douze chevaux, sept femmes de Lesbos ainsi que, en cas de victoire, vingt Troyennes et lui promet, pour après leur retour en Grèce, une de ses filles comme épouse (Illiade chant IX), [4] en grec ancien, la victoire se dit « νίκῃ » (nikè, nom féminin).

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