Ce sont les Muses[1] qui, d’après Homère, lui dictent ses poèmes. Presque trois millénaires plus tard, un communicant contemporain aurait apprécié cette inspiration en forme de « storytelling » appuyé par de solides éléments de langage assurés de véhiculer les bons messages-clé de son entreprise à l’intention des publics-cibles.
Mais avec l’arrivée des agents conversationnels comme ChatGPT, la tentation sera forte de demander à ces derniers de faire ce boulot. Difficile de comparer les octets des Datacenter d’intelligence artificielle (IA) avec la connaissance universelle des divinités grecques. Toutefois, si leurs performances s’avéraient supérieure à celle d’un modeste humain avec ses connaissances limitées et ses biais, il ne restera à ceux-ci que les écrits de recherche universitaire, la littérature et l’engagement validé par leur signature. Quoique…
« Ἔσπετε νῦν μοι Μοῦσαι Ὀλύμπια δώματ᾽ ἔχουσαι·ὑμεῖς γὰρ θεαί ἐστε πάρεστέ τε ἴστέ τε πάντα,
ἡμεῖς δὲ κλέος οἶον ἀκούομεν οὐδέ τι ἴδμεν·οἵ τινες ἡγεμόνες Δαναῶν καὶ κοίρανοι ἦσαν·»
« Et maintenant dites-moi, Muses habitantes de l'Olympe – car vous êtes, vous, des déesses, partout présentes, vous savez tout ; nous n'entendons qu’un bruit, nous, et ne savons rien, - dites-moi quels étaient les guides, les chefs des Danaens»[2]
Communication et création
Les textes de communication sont rarement sourcés et démontrés, ni même signés, à la différence des publications scientifiques. Assumée par une personne morale, leur pertinence relève du jugement du lecteur. S’il est érudit ou personnellement impliqué, il pourra démontrer une erreur (voire un mensonge), menacer la réputation de la personne morale, ou l’attaquer en justice.
De plus, la créativité qu’ils exigent n’a rien de gratuit ou d’artistique puisqu’ils ont une fonction utilitaire : promouvoir un produit ou un service, attirer des talents, construire, entretenir ou défendre l’image publique d’une organisation. Ils utilisent les ressources de la curiosité humaine, de la psychologie, de l’adéquation (ou non) avec les courants de pensée du moment pour créer de l’intérêt. Comme pour l’ébéniste qui fabrique une chaise : l’important c’est que l’on puisse s’asseoir dessus. Le talent créatif de l’artisan impacte son attrait mais nullement sa capacité à remplir sa mission.
Si l’impact d’un texte sur l’image de la boite est difficile à évaluer, tant la sensibilité du lecteur reste prépondérante, son effet sur des ventes est clairement mesurable. C’est même le fondement de la place majeure que prend la communication dans le marketing où on mesure un taux de conversion, soit le nombre d’achat (et donc le bénéfice) attribuable à telle phase d’action de communication. Or, ce type de critère objectif convient parfaitement pour faciliter l’apprentissage et booster la performance des IA.
Un travail à la mesure des IA et des bots
Les IA vont donc largement s’implanter sur le marché de la rédaction de communication par leur capacité à concevoir des textes inattaquables, actualisés, prémâchés et obéissant aux règles imposées à cet exercice de style impersonnel.
Néanmoins, même l’aptitude démontrée par ChatGPT à répondre de façon différente à la même question n’empêchera pas les argumentations de se rapprocher mécaniquement surtout si l’on y associe des KPI[3] similaires. A format égal, toutes les voitures dessinées avec le même logiciel Catia[4] finissent par se ressembler. De la même façon, tous les écrits de communication traitant d’un sujet donné vont tendre vers le même produit. Il faudra alors tester la capacité de ces machines à générer une approche originale ou s’en remettre… aux rédacteurs, voire aux Muses.
La personnalisation se fera d’abord par des touches rajoutées par des relecteurs qui devront avoir le niveau suffisant pour corriger les erreurs éventuelles (en recherchant leur origine, car jamais l’IA ne se trompe) ou apporter une tonalité différenciante. Ce seront ces relecteurs qui seront alors dans la situation des aèdes comme Homère ou Hésiode, pur relais d’inspirations divines dont ils ne maitrisent pas toujours le sens. Dans un second temps, l’IA sera capable de ce travail et même d’adapter son texte au lecteur du moment.
Garantie de sérieux ou nouvelle manipulation de notre panurgisme ?
Chacun sait que le hamburger brillant photographié pour une affiche de fast-food n’est pas consommable et que les photos de mannequins sont retravaillées avec Photoshop avant d’arriver dans les magazines. Le client/consommateur est habitués à cette manipulation et l’a intégré dans l'évaluation de son environnement. De surcroît, il accepte de facto que les publicités des réseaux sociaux soient impactées par l’espionnage de son comportement numérique. Il ne devrait donc pas s’offusquer d’un texte rédigé pour le convaincre par un ordinateur.
Le choix concernera la nécessité pour l’IA de signer (« rédigé numériquement par le logiciel .XXX »). Il n’est pas encore évident que ce soit un avantage ou un inconvénient. L’IA pourra apparaitre comme une garantie de sérieux ou au contraire comme un démultiplicateur de propagande à la merci des paramètres de résultats attendus par le demandeur du texte. Chaque logiciel se bâtira son image propre à ce sujet.
L’humain qui pourra signer « rédigé biologiquement par Xxx » aura l’aura du produit bio.
L’IA plus crédible que les Muses ?
Le progrès que représente l’IA par rapport aux Muses de l’antiquité réside largement dans sa rationalité, tant que la logique de ses algorithmes nous reste accessible. Toutefois, enfermée dans une infinie reconfiguration de formats préexistants, il lui manquera la liberté créatrice de l’esprit humain.
Un gage d’amélioration de la crédibilité des textes de communication? Cela reste à démontrer. Les Muses elle-même avouaient : « nous savons dire des mensonges nombreux semblables aux choses vraies, mais nous savons aussi, quand il nous plaît, dire la vérité[5] ». De ce point de vue, rien ne change.
Rédigé biologiquement par Homère Ullain
[1] Dans la mythologie grecque, les Muses (grec Μοῦσαι / Moûsai) sont les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne (La Mémoire) qui présidaient aux arts libéraux : Calliope, Clio, Erato, Euterpe, Melpomène, Polymnie, Terpsichore, Thalie et Uranie. [2] L’Iliade - chant II -484/487 - Traduction de Paul Mazon –– version bilingue - Les Belles Lettres 2017 [3] KPI : key performance indicator : indicateur clé de performance utilisé pour l'aide à la décision notamment en marketing [4] logiciel CAO de Dassault Système qu’utilisent également un dizaine des plus grands industriels du secteur automobile [5] Les Muses s’adressant à Hésiode - La Théogonie (Hésiode) - Traduction de Leconte de Lisle
Illustration : montage d'une annonce OpenAI et " Athena et les Muses" (Frans Floris 1560)
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